13 avril 2023
Naples, trois millions d’habitants, cité idéale, est connue pour son art de vivre et de chanter et pour son emblématique cône volcanique, le Vésuve, qui transforma une petite cité romaine en légende romantique. Moins célèbre est la méga-éruption dite ignimbritique de Campanie, en 37000 av. J.-C., suivie d’un hiver volcanique, et qui aurait joué un rôle dans l’extinction de l’homme de Néandertal. L’effondrement de la chambre magmatique consécutive à cette éruption forma la caldera des Champ Phlégréens (les « champs brûlants »), vaste complexe immédiatement au nord-ouest de Naples, densément peuplé, déjà renommé sous l’antiquité pour ses sources d’eau chaude. Strabon les décrit dans sa Géographie (ca. 23 après J.-C.) comme un espace, tout entouré de collines ignées, pleines intérieurement de feux, et percées en plusieurs endroits de soupiraux par lesquels des flammes s’échappent à grand bruit, est lui-même rempli de soufre que l’on peut extraire. La mythologie y place la porte des enfers, au niveau de la Bocca Grande (Solfatare) ou du lac Averne dont émanaient alors des gaz toxiques. Dans l’Enéide, Virgile raconte qu’Énée y a creusé un passage vers le monde souterrain, afin de rechercher son père défunt en franchissant le Styx.
Alors que le Vésuve dort (d’un seul œil, peut-être), ce sont les Champs Phlégréens qui inquiètent aujourd’hui les chercheurs. Ce supervolcan possède une chambre magmatique à 3 km de profondeur et de 2 à 3 km de large surmonté d’un réseau hydrothermal. Depuis quelques décennies, on observe un regain significatif de l’activité sous la forme d’émissions de gaz (CO2, H2S) ou une augmentation de la température dans les mares de boue (Pisciarelli). Autre caractéristique : les bradyséismes, ou variations de la hauteur du sol, couplées à l’activité sismique et conséquences des poussées ou affaissements à l’intérieur du système volcanique. En témoignent les colonnes du temple de Sérapis à Pouzzoles, dont les bases portent les traces de mollusques et démontrent qu’elles furent immergées, et la cité romaine de Baia aujourd’hui visible sous le niveau de la mer. Depuis les années 1950, plusieurs crises bradysismiques ont fait remonter le sol de plusieurs mètres. En 1984, le sol s’est soulevé de 2 mètres en une semaine, provoquant l’évacuation de 40000 personnes. Les années 2000 sont marquées par un repos relatif mais dès 2010, la tendance est de nouveau à la hausse, faisant craindre l’imminence d’une éruption majeure, catastrophique pour la métropole mais également pour l’Europe entière. S’il existait une zone rouge au pied du Vésuve qu’il est prévu d’évacuer rapidement en cas d’éruption de ce dernier, la municipalité de Naples élabore et teste aujourd’hui un plan d’évacuation des Champs Phlégréens.
Cette vigilance accrue justifie d’étudier tous les mécanismes naturels susceptibles d’agir sur le système volcanique sous-jacent. Parmi eux, les déformations de la terre liées aux marées, nées de l’attraction de la terre par la lune et le soleil, et la force centrifuge variable associée aux changements dans la vitesse de rotation terrestre. Ces déformations sont relativement faibles sur les échelles interannuelles (quelques centimètres) mais, si elles persistent longtemps, elles peuvent jouer par accumulation. En modulant les cycles de pressurisation et dépressurisation des réservoirs magmatiques, ce stress accumulé pourrait augmenter l’introduction d’éléments volatils (essentiellement de l’eau) dans le magma, créant un déséquilibre chimique et thermodynamique – hautement non linéaire dans cette gamme de pression – favorisant la surchauffe ou la vésiculation et une surpression amenant à l’éruption.
Figure 1. Corrélations (coefficient de Spearman) et niveaux de confiance (z-score de Fisher) entre l’énergie sismique moyennée sur des fenêtres de 3 mois aux stations du Vésuve (BKE) et de Pisciarelli (STH) et l’accélération de la pesanteur due aux forces de marées et aux forces centrifuges.
Utilisant les mesures sismiques depuis les pentes du Vésuve et celles depuis la station des Pisciarelli (Pouzzoles), on observe des corrélations significatives (niveau de confiance de 97% et plus) entre les variations de l’énergie sismique et celles du champ de pesanteur et du tenseur de contraintes provenant des marées et des forces centrifuges, la contribution dominante étant celle de la marée lunaire en 18,6 ans (voir la Figure 1). Par ailleurs, les mesures marégraphiques entre 1905 et 2009 à Rione Terra (Pouzzoles) supplémentées par celles du réseau GPS révèlent les épisodes bradysismiques du vingtième siècle : des affaissements lents de l’ordre du mètre sur quelques décennies interrompus par des soulèvements brutaux (plusieurs mètres en quelques années autour de 1950, 1970 et 1984) qui font qu’au final, la hauteur du terrain a varié positivement d’environ 4 mètres en moins d’un siècle (voir la Figure 2). Le champ de pesanteur et les contraintes engendrées par les marées et les forces centrifuges montrent des variations liées à la fois à la marée lunaire en 18,6 dont on a parlé plus haut et aux variations de la vitesse de rotation de la terre sur elle-même. Les périodes pendant lesquelles la gravité ou la contrainte s’accroissent sont suivies, 2 ou 3 ans après, par les soulèvements les plus rapides, suggérant un lien entre les déformations d’origine astronomique et l’activité bradysismique.
Figure 2. A gauche, comparaison entre l’élévation du sol à la station de Rione Terra (Pouzzoles) en mauve et la contrainte radiale sur les roches causées par les forces de marée et les forces centrifuges liées à la rotation terrestre (en jaune). La contrainte radiale a été reculée de trois ans. Les bandes roses et bleues indiquent respectivement les phases pendant lesquelles la contrainte s’accroît et décroît. A droite, distribution statistique de l’élévation pendant les phases « roses » (accroissement de la contrainte) et « bleues » (apaisement de la contrainte). Les médianes sont significativement différentes à plus 99,9% dans chacune des phases.
Si la question de l’influence des marées dans la sismicité est le volcanisme est toujours débattue, cette étude y est favorable et propose un scénario reliant la dépressurisation à la fragilisation du système volcanique profond. D’autres études locales ou globales seront nécessaires pour affiner ces scénarios et savoir également comment ces conclusions modifient la gestion du risque sur lequel se basent les scénarios de protection des populations. On peut, en tout dernier, se demander si marées et rotation terrestre ont influencé les grandes éruptions antérieures ; une question à laquelle l’étrange Faune dansant de Pompéi, fixant à jamais le Vésuve, connaît peut-être la réponse.
Référence : S. Lambert et G. Sottili, Possible role of tidal and rotational forcing on bradyseismic crises and volcanic unrest in the Campi Flegrei and Somma-Vesuvius areas, 2023, Frontiers in Earth Science, vol. 11, p. 1060434