
26 janvier 2020
Cette nouvelle est associée à la publication Insights from Mount Etna recent activity, Geophysical Research Letters, DOI:10.1029/2019GL085525, 2019). DOI:10.1029/2019GL085525, 2019
La surface de la Terre est soumise à des forces qui la déforment en permanence. La plus connue est la marée lunisolaire, engendrée par l’attraction de la lune et du soleil, qui fait monter et descendre la surface de plusieurs dizaines de centimètres chaque jour. Une autre « marée » (au sens de déformation de la surface terrestre) est celle résultant des forces centrifuges provenant de la rotation variable de la Terre autour de son axe, rotation dont la mesure précise est l’un des points forts du SYRTE. Dans cette marée, on distingue une partie qui vient du changement de vitesse de rotation (appelons-la « marée rotationnelle » ; elle est de quelques millimètres avec des périodicités allant de la journée au siècle), d’une partie dix fois plus grande associée au déplacement du pôle de rotation par rapport au pôle moyen, sur des périodes allant de l’année à la décennie (c’est la « marée du pôle »).
Figure 1. Une comparaison entre les déplacements de la surface à la latitude de l’Etna engendrés par les marées lunisolaires (échantillonnage diurne), rotationnelle et polaire.
La figure 1 compare les trois « marées » : lunisolaire, rotationnelle et polaire. Si l’amplitude de la marée du pôle est faible comparée à la marée lunisolaire, elle n’en est pas moins lente et donc son effet est cumulé sur plusieurs années et devient dominant à ces échelles de temps. Si l’influence de la marée lunisolaire sur le volcanisme, comme au Stromboli, semble établie, et si de récentes études dessinent un lien entre les variations de la vitesse de rotation terrestre et le volcanisme dans les zones de subduction, notamment le long des grandes fosses du Pacifique, se pourrait-il que la marée du pôle, plus forte que la marée rotationnelle, et en modifiant la tension dans l’édifice volcanique, possède un effet sur son activité sismique ou éruptive ?
Direction la Sicile. L’Etna est un volcan-école, bien surveillé ces dernières décennies. Situé au plongement de la plaque africaine sous la plaque eurasienne, sa sismicité est celle d’une région tectoniquement active avec séismes fréquents, de magnitudes et de profondeurs modérées. Sur la figure 2, en haut, les petits points jaunes sont les séismes répertoriés par l’INGV, principal organisme de géophysique d’Italie, tandis que les triangles sont des moyennes sur un mois. Les valeurs sont non pas la magnitude mais l’énergie sismique. En bas de la figure, on voit le rayon de la trajectoire décrite par le pôle de rotation par rapport au pôle moyen, rayon qui varie lentement, typiquement en 6-7 ans. Visuellement, la même variation apparaît dans la sismicité avec la même phase. Les tests statistiques montrent une corrélation largement significative au-delà de 99,5%, excluant un fait du hasard. Une étude des données plus poussée montre que certaines régions de l’Etna sont davantage influencées par la marée du pôle : proche du cratère (dans un rayon de 30 km), à faible profondeur (moins de 20 km) et que les faibles séismes (magnitude entre 1 et 2,5) sont davantage concernés.
Figure 2. En haut, l’énergie sismique, en Joules, cumulée dans des fenêtres d’un mois autour de l’Etna. En bas, la distance, en mètres entre le pôle de rotation et le pôle moyen moyennée sur un mois.
Ce travail ouvre des perspectives. Tout d’abord, il conviendra d’étendre rapidement la recherche de tels effets à d’autres édifices volcaniques (mais qui possèdent suffisamment de données d’observation…) autour du monde et de construire peu à peu une vision synthétique des effets des marées sur la sismicité et le volcanisme (les fortes éruptions du Stromboli à l’été 2019 sont un exemple : séparées de deux mois, elles sont concomitantes avec les maxima des forces de marées lunisolaire) voire de peser la possibilité de prévision. Ensuite, si la rotation de la Terre est le sujet d’étude du SYRTE depuis plusieurs décennies, il convient désormais, non plus de la considérer comme le résultat de divers phénomènes (circulation atmosphérique et océanique, rotation du noyau, marées lunisolaires et même gros séismes !) mais comme l’origine possible d’autres phénomènes au cœur des sujets de société du vingt-et-unième siècle.
Pour finir, il est intéressant de signaler que la mythologie grecque situe les forges d’Héphaïstos sous l’Etna. Des cyclopes y fabriquent les armes des dieux de l’Olympe tels que le trident de Poséidon ou les foudres de Zeus. Les bruits sourds s’échappant du volcan ne sont autre que le martèlement des outils sur les enclumes. Le rythme de ce travail s’avère finalement donné par la régularité, toute relative, des oscillations du pôle, qui sont elles-mêmes sous le contrôle de la marche des océans et de ses vagues, de l’atmosphère et de ses foudres, c’est-à-dire des commanditaires Poséidon et Zeus. Comme quoi, les légendes possèdent toujours un fond de vérité.