Une équipe aux interfaces de plusieurs domaines
L’équipe Référentiels astrogéodésiques (REFAG) intervient dans des domaines observationnels de la géodésie spatiale en opérant à divers niveaux certaines techniques et dans des domaines plus applicatifs ou théoriques en interprétant les mesures. Ces interprétations projettent l’équipe dans des thématiques aussi variées que l’astrophysique des hautes énergies, la géophysique interne ou encore le volcanisme ou le changement climatique.
Astrométrie des AGN : des jets nucléaires aux références célestes
Le système de référence céleste actuel est réalisé au moyen des coordonnées angulaires de sources compactes extragalactiques situées à des millions, voire des milliards, d’années-lumière. Ces sources sont de forts émetteurs radio et sont observées depuis les années 1980 par interférométrie radio à très longue base (VLBI). Cette technique permet de déterminer la position de leur centroïde sur le ciel à quelques dizaines ou centaines de microsecondes d’arc près. Ces positions sont disponibles pour quelques milliers de sources dans la version actuelle du repère céleste fondamental (ICRF3).
L’ICRF3 (Charlot et al. 2020).
Ces sources sont en fait des noyaux actifs de galaxies (AGN), comportant un jet radio dont la base est détectée par VLBI et qui s’étend sur plusieurs parsecs. Le jet est en général orienté vers l’observateur (la source est alors qualifiée de blazar). La mission spatiale Gaia de l’ESA lancée en 2013 a répertorié plusieurs millions de ces objets dans le domaine optique, dont les contreparties optiques des sources de l’ICRF3.
Que fait REFAG dans ce domaine ? L’équipe contribue à l’analyse des mesures VLBI permettant d’obtenir les positions des sources dans le domaine radio, produit régulièrement des nouvelles versions du repère céleste fondamental, contribue à l’élaboration des tests de qualité de ces repères, compare les positions établies dans différentes longueurs d’onde (par exemple celles données par le VLBI et celles données par Gaia) et tente d’apporter des explications aux différences observées, explications d’ordre technique (erreurs systématiques par exemple) ou astrophysique (effet d’opacité du jet, émission de l’optique par une région différente de la base du jet...).
A gauche, la position des centroïdes optiques et radio par rapport au centroïde en bande X et projetée le long ou perpendiculairement à la direction du jet radio (en bas, les lieux médians pour chaque longueur d’onde). A droite, trois exemples de configurations observées dont une avec coïncidence entre Gaia et une composante MOJAVE dans le jet. 0203-120 correspond à la configuration (1) dans la figure 1 et 0346+800 au cas (2). 0536+145 pourrait être un cas (3).
L’équipe a initié et continue de maintenir une importante base de données de quasars (Large Quasar Astrometric Catalog ou LQAC), compilation de bases existantes, dont la taille dépasse celle des plus grands relevés et pouvant servir de base de comparaison pour l’identification croisée, la recherche de caractéristiques physiques ou l’inférence statistique de propriétés (dont la reconnaissance de quasars parmi une population d’objets). L’équipe est présente dans le consortium de la mission Gaia depuis le départ de celle-ci et est impliquée plus précisément à deux niveaux : l’observation du satellite depuis le sol afin d’affiner sa trajectoire (GBOT, voir les services d’observation) et la validation du catalogue astrométrique. L’équipe héberge également des services d’observation liés à l’analyse opérationnelle VLBI et à la maintenance du repère céleste officiel (voir également le paragraphe dédié dans la rubrique services d’observation).
Evolution du nombre de quasars dans les différentes versions du LQAC (Gattano et al. 2018).
L’équipe REFAG porte également la construction d’un télescope robotique qui sera implanté à l’observatoire de Haute-Provence et qui, à partir de 2024, permettra la mesure régulière de la magnitude des quasars du repère céleste. Les variations de magnitude, notamment quand elles sont observées en plusieurs couleurs, permettent de cerner les différents processus d’émission dans l’AGN, les zones d’émission et, avec les mesures d’astrométrie VLBI et Gaia complétées par les structures radio, d’entreprendre un travail de caractérisation astrophotométrique des sources pour déterminer d’éventuelles populations plus aptes à définir un système de référence stable.
La mesure de la terre : du climat au noyau
La terre tourne sur elle-même en 24 heures modulo quelque irrégularités d’au plus quelques millisecondes causées par des processus internes (rotation du noyau liquide...), de surface (mouvements de masses dans l’atmosphère, les océans et les eaux continentales) ou externes (marées lunisolaires). De même, l’axe de rotation de la terre n’est pas exactement aligné sur le pôle géographique mais change de direction au cours du temps (quelques mètres à la surface) pour les mêmes raisons. La mesure précise de l’orientation de la terre au cours du temps est donc un moyen de sonder la planète et de mieux comprendre comment la terre solide (où reposent nos pieds et les points de référence des mesures) interagit avec ce qui l’environne : air, eaux, couches internes, corps célestes...
REFAG est spécialisée dans la mesure ultra précise de la rotation terrestre via les techniques VLBI, GNSS (système de navigation global par satellite), la télémétrie laser sur satellite (SLR) et le système CNES d’orbitographie Doppler DORIS. L’équipe combine ces mesures pour obtenir ce qui est la série de référence internationale des paramètres de rotation terrestre (dite C04). Cette série est publiée dans le cadre d’un service international, l’IERS (International Earth rotation and Reference systems Service). Ce gros travail de statistique et de traitement de données place REFAG au premier plan mondial dans ce domaine.
Le mouvement du pôle. La courbe verte montre le pôle “moyen” dont la tendance reflète les redistributions de masses aux échelles de temps multidécennales.
L’équipe analyse également ces données à des fins de géophysique et collabore avec divers instituts pour en tirer des informations sur l’intérieur terrestre (forme du noyau ou de la graine, couplages électromagnétiques aux interfaces noyau-manteau et noyau-graine) ou sur la dynamique de l’atmosphère et de l’océan (par exemple les mécanismes qui font que les puissants épisodes El Niño ralentissent la rotation terrestre !). Plus récemment, l’équipe se géodiversifie vers d’autres terrains comme les terrains volcaniques en étudiant les possibles effets de la marée du pôle et de la marée rotationnelle (en fait, la déformation de la terre consécutive aux variations des forces centrifuges associées à la vitesse de rotation et au décalage de l’axe de rotation) sur la sismicité au voisinage des volcans, études qui pourraient s’avérer cruciales dans la gestion du risque.
Les anomalies de longueur du jour des hivers 1982-83 et 2015-16 en noir (le cycle saisonnier représenté en gris a été enlevé) et l’anomalie de moment cinétique de l’atmosphère déduit d’ECMWF en bleu. La courbe en pointillés rouges représente l’indice Niño 3.4 (anomalie de température dans la région Niño 3.4 du Pacifique).
REFAG est également présente dans les références verticales via les mesures d’altimétrie spatiale pour lesquelles, notamment, elle intervient dans la calibration et la validation des mesures satellitaires du niveau des mers par des mesures in-situ (site de Senetosa en Corse, îles Kerguelen...), contribuant ainsi aux résultats des missions Jason, Sentinel ou SWOT, résultats cruciaux dans le contexte du changement climatique et des menaces sur certains littorals.
Gauche : configuration du site d’étalonnage de Corse ; Droite : série temporelle des biais de hauteurs de mer pour les missions TOPEX/Poseidon et Jason obtenue à partir de l’instrumentation du site de Corse.
Le système terre-lune : un laboratoire de physique fondamentale
La télémétrie laser-lune (LLR) forte de ses services d’observation rattachés au service international laser (ILRS) et à la station de télémétrie laser de l’OCA (plateau de Calern) permet une mesure précise de la distance terre-lune et le raccordement du repère inertiel (cinématique, basé sur les blazars) au repère dynamique (basé sur les positions des corps du système solaire). La construction d’une théorie précise de la lune est l’un des enjeux de ce groupe pour produire une orbite avec une précision centimétrique. Le groupe collabore fortement avec l’équipe Théorie et métrologie du SYRTE car l’orbitographie lunaire permet de tester extensivement la physique fondamentale et notamment la relativité générale ou l’invariance de Lorentz.