15 mai 2023
Tester les fondements de la physique moderne
La théorie de la gravitation d’Einstein prédit que le temps s’écoule plus rapidement quand on s’éloigne de la Terre. Ainsi, une horloge placée au sommet du Mont Blanc avance par rapport à une horloge au niveau de la mer d’environ 10 nanosecondes par jour. Ce décalage gravitationnel est la troisième prédiction de la théorie de la relativité générale, après l’avance du périhélie de la planète Mercure et la déflexion de la lumière, toutes vérifiées expérimentalement. Il découle directement de l’un des fondements de la physique moderne : le principe d’équivalence.
La mesure du décalage gravitationnel est primordiale car, au même titre que la mission spatiale Microscope ou la détection des ondes gravitationnelles, elle permet de tester les limites de la théorie de la gravitation d’Einstein. En effet, Il existe d’autres théories de la gravitation qui ne respectent pas le principe d’équivalence : les plus célèbres sont la théorie des cordes et la gravitation quantique à boucles, qui visent à unifier la gravitation et la mécanique quantique. En améliorant nos mesures du temps, nous espérons remettre en question la relativité générale et découvrir ainsi une nouvelle physique.
En 1977, la première horloge atomique est mise en orbite dans le satellite NAVSTAR GPS NTS-2, et confirme un décalage gravitationnel d’environ 20 microsecondes par jour. Par la suite, la constellation GPS permet de vérifier ce décalage avec une incertitude relative de 1%. La principale limitation de cette mesure provient des orbites circulaires des satellites de la constellation. Dans une expérience historique baptisée « Gravity Probe A » (GP-A), menée en 1976, Robert Vessot et Martin Levine (Université de Harvard) envoient une horloge atomique dans une fusée. Celle-ci monte jusqu’à une altitude de 10 000 kilomètres avant de chuter dans l’océan l’Atlantique, et l’effet Einstein est vérifié avec une incertitude relative 100 fois meilleure, jusqu’à aujourd’hui inégalée (1).
Doresa et Milena, les satellites excentriques
Galileo est la constellation européenne de positionnement par satellites. Actuellement 26 satellites sont en orbite autour de la Terre. Le 22 août 2014, le lancement des satellites 5 et 6 (Doresa et Milena) est en partie raté : un défaut de conception conduit au gel partiel du carburant et les moteurs chargés de contrôler l’orientation du quatrième étage de la fusée ne s’activent pas. Résultat : la fusée prend une mauvaise orientation au moment de la dernière phase de mise sur orbite. Doresa et Milena se retrouvent sur des orbites très excentrique : chaque satellite monte et tombe de 9000 km deux fois par jour.
- GREAT
- L’altitude des deux satellites Galileo excentriques varie d’environ 9000 km deux fois par jour. La théorie de la relativité générale prédit alors que la variation du décalage temporel gravitationnel des horloges de ces satellites par rapport aux horloges terrestres est d’environ 400 ns, ce que l’on a mesuré avec une incertitude relative de 25 millionièmes .
C’est une aubaine pour les tests de relativité ! Une étude préliminaire menée par le SYRTE montre qu’il est possible, avec plus d’une année de données de ces deux satellites excentriques, d’améliorer le test du décalage gravitationnel fait par GP-A en 1976 (2). En effet, les satellites Galileo contiennent des horloges atomique de type « maser à hydrogène passifs » (PHM), qui ont une stabilité inégalée parmi les horloges spatiales. De plus, ces horloges sont comparées avec les meilleures horloges au sol en permanence par une centaine de récepteurs terrestres.
L’Agence Spatiale Européenne, au travers de leur Bureau Scientifique de Navigation (Galileo Navigation Science Office) à l’ESAC, décide alors de financer et de participer à deux études parallèles afin de réaliser cette expérience, nommée GREAT (Galileo gravitational Redshift Experiment with eccentric sATellites). Une de ces études est confiée au SYRTE, Observatoire de Paris et l’autre au ZARM, Université de Brême. Après trois ans de mesures et d’analyse de données, les résultats de l’étude des chercheurs du SYRTE et de leurs collaborateurs viennent d’être publiées dans le journal scientifique Physical Review Letters (3). Ils confirment les prédictions de la relativité générale avec une incertitude relative de 2.5x10-5, une amélioration d’un facteur 5,6 par rapport aux résultats de GP-A.
De nombreux collaborateurs
Afin d’obtenir ce résultat, il a fallu comprendre, évaluer et corriger les effets systématiques de l’expérience. Cela a nécessité le concours de nombreux experts. Afin d’évaluer les erreurs systématiques associées à la modélisation de l’orbite, une campagne de télémétrie laser par satellite (SLR) a été réalisée par le réseau de stations du service international de télémétrie laser (ILRS) au cours des années 2016/2017 (4). La station de télémétrie laser de l’Observatoire de la Côte d’Azur, partenaire du projet, a fortement contribué à cette campagne qui a permit de démêler les erreurs systématiques provenant des erreurs d’orbite et des horloges atomiques embarquées.
Les experts de l’Agence Spatiale Européenne à l’ESAC, l’ESOC et l’ESTEC ont apporté apporté un soutien décisif pour la modélisation des erreurs systématiques grâce a leur connaissance du système Galileo. Le bureau de navigation de l’agence spatiale européenne, l’ESOC, a aussi généré des produits précis d’orbite et d’horloge en utilisant les meilleurs modèles de satellites disponibles. Pour les autres erreurs systématiques affectant potentiellement les horloges embarquées, des limites supérieures prudentes ont été calculées grâce aux tests au sol des horloges et aux contrôles embarqués.
Le futur : une fontaine atomique sur l’ISS
Finalement, l’expérience GREAT est aujourd’hui limitée par la connaissance des effets des champs magnétiques sur les horloges embarquées. L’expérience spatiale ACES, un projet mené par les agences spatiales française et européenne, a pour ambition d’envoyer une fontaine atomique (à Césium) à bord de la station spatiale internationale. Celle-ci devrait permettre d’améliorer encore le test du décalage gravitationnel d’un ordre de grandeur (5).
Contact : Pacôme Delva
SYRTE, Observatoire de Paris, Université PSL, CNRS, Sorbonne Université, LNE, 61 avenue de l’Observatoire 75014 Paris
Références
[1] R. F. C. Vessot and M. W. Levine. « A test of the equivalence principle using a space-borne clock », Gen. Relativ. Gravit. 10, 181 (1979)
[2] P. Delva et al. « Test of the gravitational redshift with stable clocks in eccentric orbits : application to Galileo satellites 5 and 6 », Class. Quantum Grav. 32, 232003 (2015).
[3] P. Delva et al. « A gravitational redshift test using eccentric Galileo satellites », Phys. Rev. Lett. 121, 231102 (2018)
[4] P. Delva et al. « An SLR campaign on Galileo satellites 5 and 6 for a test of the gravitational redshift – the GREAT experiment », Proceedings of the ILRS Technical Workshop, Matera, Italy, October 26-30, 2015 (2016)
[5] F. Meynadier et al. « Atomic clock ensemble in space (ACES) data analysis », Class. Quantum Grav., 35:3, p. 035018 (2018)
[6] Delva, Pacôme, Neus Puchades, Erik Schönemann, Florian Dilssner, Clément Courde, Stefano Bertone, and others, "A New Test of Gravitational Redshift Using Galileo Satellites : The GREAT Experiment", Comptes Rendus Physique, URSI-France 2018 Workshop/Journées URSI-France 2018 Geolocation and navigation / Géolocalisation et navigation, 20.3 (2019), 176–82