Rotation de la Terre et géodésie spatiale
Détermination de la rotation de la Terre par géodésie spatiale
Le vecteur de rotation change en module et en direction, mais ces variations sont en partie irrégulières. Ces variations sont déterminées par l’observation de façon routinière en vue de multiples applications allant de la géolocalisation à la géophysique. A cette fin, on traite les observations obtenues par les techniques de géodésie spatiale : systèmes de positionnement GNSS et DORIS, télémétrie laser sur les satellites artificiels et sur la Lune et interférométrie radio à très longue base sur les radiosources extra-galactiques (VLBI). Ces analyses s’effectuent en partie dans le cadre du Service de la Rotation de la Terre, dont notre équipe a la charge et qui est l’un des membres moteurs de l’IERS (International Earth rotation and Reference systems Service) et du centre d’analyse et de données VLBI, composante de l’IVS (International VLBI Service for geodesy and astrometry).
Le mouvement du pôle. La courbe verte montre le pôle “moyen” dont la tendance reflète les redistributions de masses aux échelles de temps multidécennales.
Astronomie fondamentale : conceptualisation des systèmes de référence spatio-temporels
En amont, l’équipe poursuit la tradition de l’astronomie fondamentale développée à l’Observatoire de Paris depuis sa fondation. Car, avant d’aborder la rotation de la Terre elle-même, l’équipe veille à la définition conceptuelle des divers systèmes de référence sous tendant la rotation terrestre, et raffine les paramètres décrivant celle-ci (précession, nutation, coordonnées du pôle, variations de la durée du jour). Sous l’effet des forces de marées luni-solaires, ces paramètres varient d’une façon qui est en partie prédictible et donc sujette à des modèles analytiques, que l’équipe s’attache à façonner. Ces activités s’inscrivent en particulier au sein des groupes de travail chargés de préparer les résolutions de l’Union Astronomique Internationale (UAI), la terminologie scientifique, les modèles et les standards propres à cette thématique.
La corrélation entre variation de la longueur du jour (ici en rouge) et le moment cinétique de l’atmosphère pendant l’épisode El Niño de l’hiver 2015-2016 qui a déclenché l’accélération des courants jets subtropicaux, illustre lien entre rotation terrestre et climat. La zone grise figure l’amplitude du cycle annuel moyen.
Liens entre rotation terrestre, Terre interne et climat
Depuis une trentaine d’années, l’équipe contribue à l’agrégation de ces domaines à celui des géosciences. En effet, grâce à la précision croissante des techniques de géodésie spatiale, les variations de la rotation de la Terre dévoilent toute une gamme d’irrégularités traduisant les redistributions de masse se déroulant en surface (atmosphère+océans+eaux continentales ou hydro-atmosphère) ou en profondeur (rotation du noyau liquide, couplages électromagnétiques ou topographiques entre le manteau et le noyau externe). Les données de rotation terrestre offrent un verdict sur la qualité des modèles de circulation globale dans l’hydro-atmosphère, permettent d’affiner certaines hypothèses sur les interactions entre la Terre solide et son environnement interne ou externe ou encore de préciser les propriétés rhéologiques de la Terre (élasticité, visco-élasticité) et sa structure interne (aplatissement du noyau fluide par exemple).
Une équipe inter-disciplinaire au sein du département
De par son objet l’équipe évolue dans un cadre interdisciplinaire, touchant à la fois aux capteurs inertiels à ondes de matière comme alternative éventuelle à la géodésie spatiale pour mesurer la rotation terrestre (projet MIGA), aux liens optiques fibrés (interféromètre Sagnac géant), aux systèmes de référence céleste, à la théorie de la relativité, à la réalisation du temps légal, et à l’histoire de l’astronomie (projet Observations, Mesures, INcertitudes).
Projets en cours
Combinaison multitechnique
Des chercheurs de l’équipe développent actuellement la combinaison des observables VLBI, GNSS, Laser et DORIS afin d’estimer de façon robuste les paramètres de rotation terrestre et les repères de référence. Cette méthode permettra de profiter des forces et de compenser les faiblesses de chaque technique et d’accroître la résolution temporelle et la précision des estimations par rapport aux solutions par technique disponibles actuellement.
Intérieur terrestre par VLBI et gravimétrie
Y. Ziegler (postdoc CNES 2016-2017) travaille sur la combinaison des mesures VLBI avec celle des gravimètres à supraconducteurs, en relation avec des chercheurs de l’Institut de Physique du Globe de Strasbourg. Les observables de ces deux techniques sont sensibles à des paramètres communs dépendant de la structure interne de la Terre, en particulier les fréquences de résonance des modes libres de la rotation de la Terre et de ses couches internes (noyau fluide, graine). En parallèle, I. Nurul Huda (thèse ED127 2016-2019) développe une approche nouvelle pour estimer ces mêmes résonances directement à partir des retards VLBI, sans passer par l’estimation intermédiaire des nutations. Nous attendons de ces deux approches une détermination plus pertinente des résonances, liées à la viscoélasticité du manteau et de l’interface noyau-manteau, à l’aplatissement du noyau liquide et aux constantes de couplage entre manteau, noyau et graine. A l’issue des ces travaux, nous devrions étendre l’étude à d’autres observables (notamment celles d’autres techniques de géodésie spatiale, profitant de l’expertise de l’équipe sur la combinaison multitechnique).
Rotation terrestre et climat
Le lien entre le climat et la rotation terrestre se manifeste fortement aux échelles de temps saisonnières, interannuelles et multidécennales. L’équipe, en relation avec des chercheurs de divers instituts étrangers (Université de Moscou, Université de la Rochelle, Jet Propulsion Laboratory), travaille actuellement sur le lien particulier entre la variation multidecennale de la longueur du jour, attribuée aux oscillations torsionnelles dans le noyau liquide et sa forte corrélation avec plusieurs indices climatiques dont la température de surface des terres et des océans, afin d’inférer l’origine de cette corrélation, ainsi que sur les variations interannuelles de la longueur du jour induites par les oscillations climatiques de type El Niño.
Gauche : variations multidécennales similaires observées dans la longueur du jour (LOD) et divers indices climatiques et astronomiques ; Droite : corrélation entre LOD multidécennal et température de surface des mers (SST).
Suivi continu multi-missions des systèmes altimétriques
Les activités d’étalonnage et de validation menées sur le site de Corse ont permis de mieux caractériser les données de TOPEX/Poseidon, Jason et d’ERS/Envisat servant de bases pour la mise en place d’une série homogène pour les études de tendance du niveau moyen de la mer. L’ensemble des travaux de recherches effectués ces vingt dernières années ont contribué à la détection d’erreurs et l’amélioration du système de mesure altimétrique. Le site d’étalonnage soutenu depuis sa création en 1998 par le CNES et l’OCA est en évolution continuelle afin d’améliorer sa précision mais aussi sa capacité multi-missions. Le but est de se préparer aux futures missions classiques (Jason 3 lancé en 2016) mais aussi celles qui engageront la filière altimétrique dans de nouveaux concepts technologiques (SARAL/AltiKa lancé en 2013, Sentinel 3A lancé en 2016, Jason CS en 2020, puis SWOT en 2020). Grâce à une instrumentation dédiée, un site de calibration côtier permet de donner des résultats qui font le lien entre l’océan ouvert et les mesures côtières. Les travaux engagés pour le développement multi-missions du site de Corse seront continués et accentués ces prochaines années. Les résultats obtenus s’inscrivent depuis de nombreuses années dans les rapports annuels de l’OSTST (Ocean Surface Topography Science Team) quantifiant notamment les biais des altimètres.
Gauche : configuration du site d’étalonnage de Corse ; Droite : série temporelle des biais de hauteurs de mer pour les missions TOPEX/Poseidon et Jason obtenue à partir de l’instrumentation du site de Corse.
Cette surveillance de la qualité des mesures altimétriques ne se limite plus à l’étude des masses d’eaux océaniques. La compréhension des processus d’évolution climatique nécessite de mettre en œuvre un contrôle tout aussi précis des eaux continentales. Ces études menées dans le cadre du projet FOAM (From Ocean to inland waters Altimetry Monitoring) ont permis d’effectuer de nombreuses campagnes de mesures mais aussi d’installer une instrumentation spécifique permettant un suivi continu de l’altimétrie sur lacs et rivières.
L’utilisation du système GPS (ou GNSS) pour la mesure du niveau de l’eau (océan, fleuves, lacs) est aussi l’un des points importants du projet FOAM et des avancées ont été faites que ce soit dans le design des instruments (CalNaGeo) ou dans les méthodes de traitement de la mesure. L’utilisation du Precise Point Positioning développé dans le logiciel GINS (GRGS Toulouse) est en cours d’utilisation que ce soit pour les expériences en milieu océanique ou pour les eaux continentales. La réflectométrie est un autre aspect de l’utilisation du GNSS qui est exploré.
Vers une plus grande synergie entre l’océanographie, le système de référence et l’orientation de la Terre
Du point de vue de la stabilité temporelle, les systèmes de référence jouent un rôle prépondérant pour garantir une stabilité sur de grandes échelles de temps et une continuité permettant de relier entre elles les séries historiques, présentes et futures du niveau de la mer. Parmi les paramètres de ces systèmes de référence, le mouvement du pôle et la rotation de la Terre ne peuvent plus être construits indépendamment de leur interaction avec la partie fluide de notre planète et notamment la dynamique océanique. Les positions et vitesses des différents réseaux géodésiques (SLR, LLR, DORIS, GPS et VLBI) qui matérialisent l’évolution de la croûte terrestre mais contribuent aussi de manière cruciale aux paramètres d’orientation de la Terre devront aussi franchir un cap au niveau précision et exactitude (méthodologie mais aussi technologie). Enfin les efforts d’observations et de modélisation du champ de gravité tant dans sa partie statique que sa partie variable devront être pérennisés, notamment avec des missions récurrentes d’observation (e.g. GRACE Follow-on dont le lancement est prévu en 2017). Il est donc particulièrement important dans les années à venir de renforcer les synergies entre les différentes communautés (Terre Solide, Océan, Atmosphère et Surfaces continentales) si l’on veut pouvoir garantir la précision et la stabilité requise sur l’évolution du niveau de la mer en tant qu’indicateur climatique. Les premiers travaux menés en collaboration avec Christian Bizouard (SYRTE) et Romain Bourdalle-Badie (Mercator-ocean) ont permis de montrer que le modèle NEMO développé à Mercator améliore la corrélation entre les paramètres d’orientation de la Terre issus des moments cinétiques déduit du modèle et ceux déduits des observations. La corrélation sur la durée du jour (LOD, Figure 3) est améliorée de 10% par rapport au modèle OMCT (GFZ, GeoForschungsZentrum) utilisé jusqu’à présent.